Gyné
" Elle me parle de son fantasme de menottes. Elle prétend en avoir acheté une paire il n’y a pas très longtemps.
Elle dit qu’elle se rêve attachée par un homme viril qui sache exactement comment s’y prendre pour la faire jouir. Elle veut qu’on l’emmène au bout de son plaisir, dans ce rapport spécial de domination où le tortionnaire est en fait au service de sa victime - consentante.
Elle ne veut surtout pas être déçue. Elle ne veut pas faire semblant.
Elle veut qu’on la rende folle, qu’on la fasse crier.
Elle veut perdre totalement le contrôle.
Je comprends, au ton poliment distant qu’elle emploie, qu’elle ne me voit pas du tout endosser le rôle qu’elle me décrit. Mais le fait qu’elle m’en parle quand même semble indiquer que ce n’est qu’une question de temps et de confiance.
Pour qui se prend-elle au juste ? Quel message essaie t’elle de me faire passer ?
Que je ne suis pas à la hauteur ?
Cela faisait déjà quatre mois qu’elle vivait chez moi.
Quatre mois…
Et je ne l’avais toujours pas fait jouir une seule fois. Elle restait désespérément indifférente à mes assauts. J’essayais de lui procurer du plaisir par tous les moyens possibles et inimaginables. Sans succès.
Aucun de mes efforts ne trouvait sa récompense pourtant amplement méritée. Aucune des caresses que je lui prodiguais ne semblait avoir un quelconque effet sur elle.
Elle commençait même à manifester un désintérêt total, voire un dégoût difficilement masqué, pour la chose.
Etais-je si nul que ça ? J’étais inévitablement amené à me poser la question, ce qui ne manquait pas de me contrarier.
Je pensais être un bon amant. C’était incompréhensible. Mes anciennes partenaires ne s’étaient jamais montrées aussi difficiles à satisfaire.
J’en venais à me demander :
« Avaient-elles simulé ? M’avaient-elles maintenu dans l’erreur pour ne pas me vexer, tout en s’ennuyant mortellement à mes côté ? »
« Avais-je été floué, trompé depuis tout ce temps? Allaient-elles en fait prendre leur pied avec un autre en cachette ? »
« Dressaient-elles mentalement leur liste de courses pendant que je suais et haletais pitoyablement au-dessus d’elles? »
« Avaient-elles pitié de cet homme qui essayait de les baiser comme un forcené, en se prenant pour un étalon performant, alors qu’il n’était en réalité qu’un minable péquenot à petite bite (molle) ? »
Mais pourquoi me remettais-je ainsi en question pour une gamine à moitié tarée et probablement frigide ? Elle prétendait avoir eu des orgasmes avec certains de ses ex, mais c’était invérifiable. Elle devait sûrement mentir pour faire bonne figure. Pour ne pas avoir à avouer qu’elle n’avait jamais connu la jouissance avec un homme. Pour se donner l’air d’avoir plus d’expérience qu’elle n’en avait réellement.
Contrairement à ce qu’elle disait, j’étais sûr qu’elle ne devait pas aimer le sexe. Sinon, pourquoi... ?
Elle semblait n’éprouver aucune sensation. On aurait dit un robot.
Toujours le même masque inexpressif sur son visage.
Jamais un soupir de contentement. Jamais un gémissement.
Rien qui eût pu la faire ressembler à autre chose qu’à une stupide poupée muette.
J’étais justement en train de me dire que je pourrais lui faire tout ce que je voulais sans faire naître la moindre émotion en elle, le soir où elle vint me rejoindre un peu plus tôt dans mon lit.
En soi, ce fait à lui seul était devenu notable.
En effet, il lui arrivait de plus en plus régulièrement de vouloir veiller alors que je manifestais le désir d’aller me coucher.
Elle trouvait toujours un prétexte…
Une émission de deuxième partie de soirée ayant l’air intéressante… Une amie rarement connectée qui l’était comme par hasard à cet instant précis… Un regain d’énergie soudain qui la maintenait trop en forme pour songer à dormir (excuse rarement utilisée depuis la fois où je lui avais fait subtilement remarquer qu’on pouvait aller au lit et faire autre chose que dormir).
Elle cherchait à me fuir.
Elle comptait sur le fait que, rentrant fatigué de ma journée de travail, je tomberais rapidement dans les bras de Morphée.
Elle espérait qu’ainsi elle pourrait venir se coucher en toute quiétude - c’est-à-dire sans avoir à craindre le « devoir conjugal » auquel elle n’avait déjà plus envie de s’astreindre.
Et sa ruse était efficace.
Je ne pouvais pas me permettre de chercher veiller toute la nuit pour l’attendre.
Je m’endormais donc souvent seul et frustré.
Ma colère à ce sujet augmentait progressivement depuis deux semaines. Le manque de sexe me rendait maussade. Irritable.
J’avais de plus en plus de mal à voir pourquoi j’hébergeais gracieusement cette fille. Elle se montrait ingrate au point de se refuser à la seule faveur que je lui demandais en échange.
Que croyait-elle ? Que tout était désormais gagné ? Qu’elle pouvait prétendre profiter de mon argent et de ma bonne situation sans rien offrir en retour ?
Qu’elle fasse le ménage ou la cuisine m’indifférait.
J’étais assez riche pour me payer une femme de ménage à temps plein et aller dîner au restaurant tous les soirs si l’envie m’en prenait.
Ce que j’attendais était d’une autre nature.
Je n’avais pas envie de monnayer les services sexuels d’une prostituée.
Je voulais être en compagnie d’une femme de tous les jours. Je voulais construire une intimité véritable, qui n’aurait pas pris sordidement fin lors de l’encaissement d’un billet. Je ne voulais pas d’un sommeil solitaire et triste.
Et par-dessus tout, je voulais avoir une femme qui soit toujours à ma disposition à la maison.
Ne croyez pas pour autant que je sois rétrograde.
J’aurais parfaitement toléré qu’elle aille travailler si elle en avait manifesté le désir. Ce qui n’était pas le cas.
Il aurait juste fallu qu’elle n’ait pas un job trop prenant, ni d’horaires trop contraignants. Qu’elle soit là à mon retour, fraîche, dispose, souriante - et sans envie de me raconter des cancans à propos de ses collègues.
Un petit boulot à mi-temps pour l’occuper, ou un peu de bénévolat auraient fait l’affaire.
Le salaire n’aurait pas été un critère de sélection. Le mien suffisait déjà amplement.
Il aurait simplement été question de lui trouver un divertissement.
Mais le fait est qu’elle se sentait bien à rester à la maison à ne rien faire de la journée.
Je m’en étais douté dès que je l’avais rencontré : elle était d’une nature feignante.
C’est ce qui avait joué en sa faveur lors de ma décision.
Je m’étais dit qu’elle serait trop ravie de se faire entretenir par un homme dans mon genre, plutôt beau gosse et doté d’une situation plus que confortable, pour chercher à faire des histoires.
J’avais pensé qu’elle se soumettrait facilement au pouvoir de mon argent.
Je n’avais pas imaginé une seule seconde que son arrogance la conduirait à se comporter comme si tout lui était dû après un laps de temps aussi court.
Elle ne trouvait même pas la motivation d’essayer de maintenir ses privilèges par une attitude adaptée.
Alors ce soir là, la tension était montée. Je m’étais montré particulièrement désagréable dès que j’avais passé la porte.
Infect et méchant… Pour moi, la coupe était pleine.
Le message était visiblement passé.
Sans que je lui en donne l’explication, elle avait compris les raisons de ma mauvaise humeur. C’est pourquoi elle s’était décidée à me suivre de près lorsque j’étais allé me coucher.
Mais cela ne me suffisait pas…
Au contraire, cela me confortait dans ma fureur.
Si elle avait trouvé si rapidement la solution au problème, c’est qu’elle avait conscience de ce qu’elle me faisait subir quotidiennement.
Son attitude était délibérée.
Elle m’avait bien pris pour un con. Plus aucun doute n’était possible.
Elle me testait.
Il était temps que je lui rappelle les règles du jeu. Et fermement.
Et il était également temps que je lui fasse comprendre que son inertie au lit, les rares fois où elle s’offrait à moi, avait assez duré.
Qu’elle ait à simuler pour me faire croire qu’elle prenait son pied, cela ne me regardait pas. Je voulais qu’elle y mette du sien et arrête enfin de me faire passer pour un amant déplorable.
…Ce soir là, tout commença réellement entre nous.
Je ne l’avais pas regardé lorsqu’elle était entrée dans la pièce. Je voulais la laisser se débrouiller toute seule, pour voir ce qu’elle allait bien pouvoir faire pour tenter d’apaiser l’atmosphère. Elle se mit au lit à mes côtés et chercha mon regard du sien, sans succès. J’éteins ma lampe de chevet sans un mot. Elle se rapprocha alors, dans l’optique probable de me prendre dans ses bras pour me faire oublier en douceur sa faute. Mais ça n’allait pas se régler comme ça, aussi facilement. Je me foutais royalement de son câlin hypocrite. J’avais bien d’autres choses en tête.
Alors que je me reculais pour l’éviter, je lançais la conversation :
« Alors comme ça, tu aimes te faire attacher ?
-Je n’ai jamais dit ça. J’ai simplement avoué que c’était un de mes fantasmes.
-Et tu n’as jamais essayé de le réaliser ?
-Non, pas encore…
-Pourtant tu m’as dit que tu avais des menottes ! Tu as tout ce qu’il faut ! Qu’est-ce qui te retient ?
-Mais je te l’ai déjà dit ! J’ai envie que ce soit réussi, c’est pour ça que je préfère attendre.
-Tu préfères attendre quoi ? Un autre mec ? En gros, tu penses qu’avec moi ce serait raté! C’est bien ça que tu essaies de me dire ?
-Mais non pas du tout ! Je ne vois pas le rapport… C’est pour ça que tu me fais la gueule ? Pour une banale histoire de menottes ?? »
Elle osait prendre un air outré et demander pourquoi je lui « faisais la gueule » (comme si je boudais, tel un bambin capricieux à qui on aurait refusé un bonbon) ? On nageait en plein délire. Ça me brûlait les lèvres de lui hurler qu’elle savait très bien pourquoi je lui « faisais la gueule » ! Que c’était en partie pour ça, mais pas que… Qu’il y avait bien plus grave… Qu’il y avait un réel problème d’adulte entre nous ! Que ce n’était pas une gaminerie injustifiée de ma part !
Mais je ne lui dis rien de tout ça. J’ouvris seulement le tiroir de ma table de nuit en chêne massif - matériau qui, dans mon esprit, reflétait que j’étais un vrai homme digne de ce nom : un de ces hommes sérieux et installé, aux épaules solides et au portefeuille bien garni, prêt à fonder une famille et à en assumer la charge, bien différent de tous ces adeptes de meubles Ikea qui semblaient être des candidats idéal à la loose et aux relations foireuses.
J’en sortis deux objets qu’elle ne put distinguer tout de suite dans la pénombre. Deux objets qui attendaient impatiemment leur heure depuis quelques jours…
« Si tu penses que c’est à cause de ça, on va régler le problème tout de suite », dis-je avec un air mauvais qu’elle ne pouvait pas voir non plus, mais que le ton de ma voix laissait deviner.
J’allumais la lumière et lui laissait entrevoir la première de mes deux surprises : une paire de menottes en fer.
« Tu vas me les mettre de force ? », demanda-t-elle, incrédule et dégoûtée.
Pour toute réponse, je me contentai de saisir ses deux mains et de les attacher fermement ensemble aux montants du lit (chêne massif également, cela va de soi). Elle ne se débattit pas, mais me regarda avec un mépris profond. Je fus rassuré à l’idée que le rictus humiliant qu’affichaient ses lèvres serait bientôt masqué par mon second accessoire. Mon esprit en fut même envahi par une sorte de joie malsaine que je ne tentai en rien de dissimuler.
« Et qu’est-ce que tu vas faire maintenant ? Me baiser, comme ça, tout seul dans ton délire ? C’est ça qui t’excites en fait? Le viol ?
-Ta gueule ! lui hurlais-je. »
Et je joins le geste à la parole.
J’avais trouvé sur Internet un bâillon d’inspiration sado-maso qui m’avait particulièrement plut. Il s’agissait d’une boule reliée à un élastique, comme on pouvait en voir dans certaines scènes de torture au cinéma. Glauque à souhait.
Je le lui fourrais dans la bouche d’un geste sec. Bien qu’elle essayât cette fois de s’opposer à moi en protestant violement et en me gratifiant de quelques coups de pieds, je réussis tant bien que mal à lui attacher solidement à l’arrière du crâne.
Quand ce fut fait, je la regardais pour la première fois dans les yeux et crut y déceler une pointe d’incertitude et de peur sous la fureur.
Après l’avoir attachée, je ne m’étais adonné à aucune pratique sexuelle avec elle. Le simple fait d’avoir percé sa carapace de supériorité et d’indifférence m’avait suffit. Malgré l’érection qui m’avait accompagnée depuis qu’elle était entrée dans la chambre, je n’avais pas envie d’elle.
J’étais sorti de la pièce et l’avait laissée seule pendant un certain temps, peut-être quinze bonnes minutes. Je voulais lui faire croire que j’étais en train de préparer pire. Je voulais qu’elle s’imagine des choses horribles, qu’elle craigne pour sa vie. Je voulais l’effrayer afin qu’elle me voie comme un danger potentiel pour elle. Qu’elle comprenne enfin que je n’étais pas l’imbécile niais et « bonne poire » pour lequel elle me prenait, mais bien un homme dominateur qu’on ne pouvait contrarier impunément.
J’étais revenu sans lui jeter un seul regard et m’étais remis au lit. J’avais fait mine d’éteindre la lumière pour dormir et l’avais laissé attendre la suite des évènements dans le noir. Le silence un peu pesant qui régnait était plaisant. On sentait dans l’air une certaine tension qui n’osait s’exprimer ouvertement.
Elle avait renoncé à ses petits bruits de protestation. Elle avait cessé de bouger et n’essayait plus de me frapper avec les parties de son corps restées libres. Pour une fois, elle avait compris qu’elle était en position de faiblesse et de soumission.
Et peut-être qu’au fond elle aimait ça.
M’ayant vu revenir les mains vides, elle avait dû se sentir un peu plus rassurée. Alors, pour faire remonter la pression, je fis semblant de chercher quelque chose dans ce même tiroir duquel précédemment j’avais sorti les accessoires qui la maintenait asservie. Puis, j’allumai la petite lampe.
Je vis dans son regard l’interrogation et la peur, difficilement camouflées malgré ses efforts.
Avec satisfaction, je la contemplai encore quelques instants menottée et bâillonnée, pour bien imprimer cette image dans ma mémoire.
Alors seulement, je consentis à la détacher."
Delphine Santini (www.lamauvaisereputation.org)